ÉGLISES MAL ORIENTÉES

Certaines églises de la période médiévale sont orientées vers l’Ouest. Pour quelle raison ne suivent-elles pas la règle générale ?

Les tout premiers temples chrétiens et notamment les deux plus grands : Saint-Jean de Latran et Sainte-Marie-Majeure ont été édifiés à Rome à l’instigation de l’empereur Constantin, selon les règles de l’époque. Les entrées de ces sanctuaires, construits “à la romaine“, furent placées à l’Est. L’officiant, regardant le soleil levant, faisait face aux fidèles. Les églises des premiers temps de l’ère chrétienne sortent donc à coup sûr du champ d’application du principe général de fondation retenu par la suite.

La première basilique Saint-Pierre de Rome construite à la fin du IVe siècle, c’est-à-dire au moins quatre-vingts ans après l’accession de Constantin au pouvoir, semble encore relever de la même démarche puisque, comme la basilique qui l’a remplacée, elle était dirigée vers l’Ouest. Il se pourrait pourtant, curieusement, qu’elle soit en fait l’une des premières à répondre aux principes qui régiront par la suite les constructions religieuses. Bien qu’inversée, elle respecte l’ensemble des critères développés plus haut (Nombres, géométrie, fête du saint,…) car son renversement prend du sens pour peu que l’on tienne compte de ce que les récit rapportent de la mort de saint Pierre.

Pour ne pas mourir comme le Christ dont il ne se sentait pas digne, il demanda, dit-on, à être crucifié la tête en bas.

Le mode de fondation appliqué la tête en bas renverse effectivement la disposition et conduit au retournement d’orientation constaté… Notons toutefois que cette disposition n’est compréhensible que pour le lieu même où mourut l’apôtre.

Par ailleurs, la symbolique de fondation développée dans “L’ombre du Poteau et le Carré de la Terre“ n’a probablement pas été appliquée au-delà du XIIIe siècle. En effet, les changements intervenus dans les esprits, l’émergence de la pensée “scientifique“ ont conduit, ensuite, à une rupture culturelle dont la Renaissance est issue. L’Homme ne se sentit plus comme faisant partie intégrante de la Création. Objectivant cette dernière, il en fit son domaine d’étude, du coup, l’univers symbolique qui avait été le sien, profondément, perdit consistance et ne fut plus qu’un pâle sujet de curiosité. L’ancien mode de fondation n’eut alors plus de sens. Les églises construites postérieurement au XIIIe siècle le furent à coup sûr suivant une autre logique. L’orientation n’avait plus d’importance.

La question posée concerne donc, en fait, les églises construites entre le IVe et le XIIIe siècle. Certaines d’entre elles ont, il est vrai, une abside dirigée vers l’Ouest. Leur construction échapperait donc au mode de fondation proposé. Il est important d’étudier chacun de ces cas pour savoir si, réellement, le principe est pris en défaut ou si des circonstances particulières expliquent le phénomène.

Les églises carolingiennes, tout d’abord. Elles furent conçues avec deux absides : une abside secondaire faisant face à l’abside orientale principale. La symbolique de fondation semble dans leur cas parfaitement respectée mais, pour quelques unes et pour un motif qui reste encore à comprendre, le rôle religieux principal fut accordé à l’abside occidentale provoquant, de fait, une inversion de la direction de l’axe. Il est est ainsi de l’église Sainte-Marie d’Arles-sur-Tech.

Hormis ce cas particulier, en règle générale, les églises orientées vers l’Ouest sont des églises “retournées“. Elles ne sont donc plus réellement romanes…

L’église de l’ancien prieuré de Chissey (beaux chapiteaux), près de Chapaize en Saône-et-Loire, en est un bon exemple. Lorsqu’il s’est agi d’agrandir l’édifice, au XVe ou XVIe siècle, la petite église clunisienne a été profondément modifiée. D’origine, elle était normalement orientée mais l’abside venait quasiment buter contre un mur rocheux de plusieurs mètres. À l’Ouest, l’espace était plus dégagé. Pour agrandir l’église, les constructeurs n’eurent aucun scrupule, ils préférèrent renverser la direction de l’axe de l’édifice plutôt que de chercher à creuser la roche. Les symboles n’avaient plus cours. L’ancienne petite abside fut détruite. En lieu et place un portail oriental fut créé. Le fin clocher clunisien surplombant la croisée est à présent une sorte de tour porche… remarquable néanmoins !